Doit-on craindre le bogue de 2012?

En 2008, les données démographiques laissaient entrevoir qu’à partir de 2012 la population québécoise en âge de travailler commencerait à décroître, aggravant les problèmes de recrutement des entreprises. À l’époque, l’équipe de Jobboom avait même qualifié la tendance de «bogue de 2012»! En cette année charnière, qu’en est-il réellement sur le terrain?

«L’année 2012 ne sera pas spécialement marquée par une pénurie de main-d’œuvre», affirme d’entrée de jeu André Grenier, économiste à Emploi-Québec. Il prévoit que les profondes transformations démographiques au Québec affecteront graduellement le marché du travail, et que la pénurie de main-d’œuvre sera plus marquée plutôt d’ici 2020 ou 2030.

Malgré tout, il est vrai qu’à compter de 2013 la population en âge de travailler (les 15 à 64 ans) diminuera pour la première fois de notre histoire. Alors que ce groupe d’âge a connu une croissance de 5,14 % de 2003 à 2012, on prévoit une perte de croissance de 3,8 % des personnes âgées de 15 à 64 ans entre 2013 et 2030, soit environ 200 000 personnes de moins1. Pas de doute que cette situation aura un effet sur le marché du travail québécois, qui sera appelé à se transformer dans les années à venir, notamment pour remplacer les travailleurs qui partiront à la retraite.

À titre d’exemple : en 1971, il y avait 7,8 travailleurs potentiels pour chaque personne de 65 ans et plus. En 2010, cette proportion était de 4 travailleurs pour 1 retraité, et en 2030, on comptera uniquement 2,1 travailleurs pour une personne de 65 ans et plus. C’est ce qui ressort d’un rapport publié en septembre 2011 par la Commission nationale sur la participation au marché du travail des travailleuses et travailleurs expérimentés de 55 ans et plus, pour le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

«C’est vrai que la population en âge de travailler vieillit au Québec et qu’il y aura un déficit de jeunes travailleurs pour la remplacer, mais il faut toutefois nuancer», fait valoir André Grenier. Le Québec n’est pas en situation de total plein emploi. «En 2011, on a quand même environ 330 000 personnes qui sont à la recherche active d’un emploi chaque mois, tous niveaux de qualification confondus», note l’économiste.

Préparer l’avenir

Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec, est aussi d’avis qu’il est trop tôt pour annoncer une crise de la main-d’œuvre en 2012, mais il observe que les tendances lourdes de la décroissance démographique au Québec pourraient avoir des conséquences sur la croissance économique de la province. «Des membres nous confient régulièrement qu’ils doivent refuser des contrats lucratifs, en raison d’un manque de personnel qualifié. De plus, nos travailleurs d’expérience ont tendance à prendre leur retraite une année ou deux plus tôt au Québec qu’ailleurs au Canada. Dans certaines industries, comme la construction, les services liés à la santé et l’informatique, la rareté de la main-d’œuvre se fait déjà sentir très clairement», affirme-t-il.

Les entreprises québécoises doivent donc commencer à se préparer pour faire face à la rareté des travailleurs qui les affectera dans la prochaine décennie. En 2009, la Fédération des chambres de commerce du Québec a d’ailleurs mené une série de 15 rencontres sur le sujet avec ses membres dans toutes les régions de la province. «Nous voulions comprendre où se situaient les besoins afin de trouver ensuite des pistes de solution», explique Françoise Bertrand, présidente-directrice générale de la Fédération.

Conclusion? Pour combler son déficit de travailleurs, le Québec devra s’attaquer à plusieurs dossiers. «En premier lieu, il faudra se pencher sur la possibilité de retenir un peu plus longtemps nos travailleurs d’expérience, afin qu’ils puissent transmettre leur expertise aux plus jeunes, note Françoise Bertrand. Plusieurs travailleurs dans la soixantaine seraient intéressés à rester en emploi, mais dans des conditions différentes, à temps partiel par exemple.»

«Dans les années 1990, les entreprises ont incité fortement les travailleurs plus âgés à partir à la retraite pour réduire les coûts. Il faudra maintenant faire l’inverse et trouver des façons de les retenir», confirme André Grenier.

Au chapitre de l’immigration, le Québec devra consentir des efforts pour mieux intégrer les nouveaux arrivants au marché du travail. «Cela passe par une sélection mieux arrimée aux besoins du marché, mais aussi par la création de programmes intensifs pour combler plus rapidement l’écart entre la formation professionnelle de ces personnes et les exigences de l’emploi, en leur permettant d’aller chercher des compléments de formation plutôt que de refaire leurs études, par exemple, suggère Yves-Thomas Dorval. De plus, il faut vite intégrer ou réintégrer les personnes au chômage qui sont en mesure de travailler, en leur procurant de la formation. Nous avons également du travail à faire pour prévenir le décrochage scolaire.»

Selon Françoise Bertrand, la formation continue devrait être une priorité pour tous dans les prochaines décennies. «Les travailleurs de tous les domaines doivent continuer à se perfectionner pour demeurer flexibles et pouvoir s’adapter si leur industrie subit des transformations.»

L’embarras du choix… de carrière!

Selon les experts interrogés, toutes les régions du Québec auront besoin de main-d’œuvre et la demande sera forte dans une variété de domaines. «De nombreux secteurs sont en expansion, notamment le transport, l’hébergement, la restauration, le tourisme, les technologies de l’information, le domaine de l’énergie, le génie civil, les mines et l’aéronautique, et ils cherchent déjà des travailleurs qualifiés. Certains secteurs à haute valeur ajoutée, comme les nano-technologies, l’environnement, les énergies renouvelables et la génomique, représentent aussi à mon avis des emplois d’avenir», estime Yves-Thomas Dorval.

«Les métiers professionnels et techniques, la plomberie par exemple, sont déjà très recherchés. Les entreprises nous disent que c’est plus que de la rareté, c’est une vraie pénurie. À mesure que l’espérance de vie s’allonge, les secteurs des services aux individus, des soins de santé et des services aux personnes âgées vont aussi connaître une très forte demande», prédit Françoise Bertrand.

Les occasions de carrière ne manqueront par pour les jeunes diplômés. Il ne leur reste qu’à faire leur choix. «Les données économiques peuvent les guider, mais le plus important demeure de choisir un métier qu’on aime!» rappelle André Grenier… Sages paroles. 09/11

(1) Le vieillissement de la main-d’œuvre et l’avenir de la retraite : des enjeux pour tous, un effort de chacun. Commission nationale sur la participation au marché du travail des travailleuses et travailleurs expérimentés de 55 ans et plus, septembre 2011.

Source: Les carrières d’avenir 2012