Devenir un meilleur vendeur

Alors que les ventes en ligne montent en flèche, les vendeurs en magasin subiront-ils le même sort que les dinosaures? Non, pensent la plupart des experts. Mais ils devront s’adapter pour survivre à l’évolution naturelle des besoins de leur clientèle.

Les achats en ligne ont la cote au Québec. En 2011, 61 % des internautes québécois ont effectué au moins un achat en ligne. En deux ans, la valeur moyenne des achats réalisés par ces cyberacheteurs a progressé de 66 $, passant de 270 $ à 336 $. Et depuis 2005, la valeur totale des ventes en ligne est passée de 1,1 à 5,6 milliards de dollars.

C’est ce que révèle l’étude NETendances 2011 sur l’évolution de l’utilisation d’Internet au Québec, effectuée par le centre de recherche CEFRIO.

Les avantages du virtuel

Selon l’étude, les cyberacheteurs effectuent des achats en ligne avant tout pour obtenir des prix compétitifs (33 %) et pour gagner du temps (32 %).

Le niveau de confiance des consommateurs face aux achats en ligne s’est aussi accru au fil des ans, croit Richard Beaudoin, responsable du programme Gestion de commerces au Collège de Rosemont. Ce qui explique une partie de l’engouement. «Les entreprises ont mieux sécurisé leurs sites transactionnels. On peut maintenant y effectuer des achats en toute sécurité.» Un Québécois sur deux (54 %) considère que les achats en ligne par carte de crédit sont assez, voire très sécuritaires, un taux qui a doublé en dix ans.

«Sur le Web, on trouve des aubaines et un choix plus vaste que dans un point de vente, observe Patricia Lapierre, directrice générale de Détail Québec, le Comité sectoriel de main-d’œuvre du commerce de détail. Les personnes peuvent aussi comparer les produits et les marques de plusieurs détaillants et en vérifier la disponibilité, sans se déplacer. De plus, la livraison des achats est simple et rapide.»

L’impact en magasin

Malgré cette montée en flèche du cybercommerce, on n’observe pas de baisse générale de l’achalandage en magasin. «Les consommateurs continuent d’aller en magasin pour avoir un contact avec les vendeurs et les produits», assure Patricia Lapierre.

«Les consommateurs naviguent sur le Web pour aller chercher de l’information plus que pour acheter, observe pour sa part Richard Beaudoin. Ils prennent souvent leur décision finale en magasin. Les ventes en ligne augmentent, mais l’accès facile au crédit fait en sorte que les gens consomment davantage en général. Même que grâce à Internet, les détaillants augmentent leur volume d’affaires, en atteignant plus de monde comme les clients éloignés des points de vente.»

Professeur titulaire à HEC Montréal et fondateur de la Chaire de commerce électronique RBC Groupe Financier, Jacques Nantel apporte toutefois un bémol. «Depuis plusieurs années, les marges de profit dans les commerces de détail à grande distribution diminuent. Et cette tendance s’accélère. Or, le coût d’une main-d’œuvre non spécialisée par rapport à ce qu’elle rapporte aux détaillants n’est pas avantageux. Ainsi, on peut imaginer que des bornes interactives fournissant des renseignements remplaceront peu à peu les vendeurs dans les grandes surfaces et les commerces de moyenne taille pour aider les clients venus acheter un produit.»

Les vendeurs de demain

Sur le terrain, on est encore loin de ce vendeur robot. Les associations qui œuvrent dans le commerce de détail croient plutôt que le métier peut s’ajuster aux réalités virtuelles.

Selon les données du CEFRIO, avant d’effectuer un achat en ligne ou en magasin, la majorité des internautes se renseignent sur le Web : 81 % consultent au moins une source Internet, et 69 %, plus d’une. Les internautes recueillent aussi l’avis d’autres consommateurs, de leurs contacts sur les réseaux sociaux ou bien d’experts avant d’acheter. Et en magasin, plusieurs clients se servent de leurs téléphones intelligents pour comparer des prix et des produits.

Pour faire front, les vendeurs doivent être encore mieux informés que leurs clients, soutient Gaston Lafleur, président du Conseil québécois du commerce de détail. «Le représentant des ventes doit, par exemple, analyser le contenu du site Web de l’entreprise et de ceux de ses concurrents, indique-t-il. Ses conseils doivent venir compléter l’information obtenue par voies électroniques.»

«Les vendeurs doivent aussi regarder ce qui se dit dans les médias sociaux du détaillant et sur tout blogue en lien avec leur produit ou leur service, ajoute Richard Beaudoin. Cela permet de mieux connaître la perception des clients face à leur produit, de prévoir les questions et de préparer les arguments de vente.»

Les vendeurs devraient aussi avoir accès aux mêmes outils que les consommateurs, note Patricia Lapierre. C’est loin d’être le cas pour le moment. Par contre, «on sent une volonté chez les détaillants de mieux équiper leurs vendeurs avec des tablettes électroniques, ordinateurs et caisses intelligentes», dit-elle. Munis d’une tablette électronique, les représentants des ventes pourraient, par exemple, guider le choix des clients en leur donnant des informations supplémentaires sur les caractéristiques des produits, sur leur disponibilité et dans quels rayons les trouver en magasin. Grâce à cet outil, ils auraient accès en tout temps aux sites Web des fournisseurs et à ceux des concurrents.

Des écoles branchées

Bonne nouvelle : les établissements d’enseignement qui offrent des formations en vente et en gestion de commerces adaptent leurs programmes pour tenir compte des réalités liées à l’achat en ligne et aux médias sociaux. Par exemple, des élèves en vente-conseil ou en gestion de commerces acquièrent dans certaines écoles les compétences nécessaires pour créer un site Facebook d’entreprise ou une page Web de magasin.

Signe des temps, les outils virtuels étaient même à l’honneur lors des dernières Olympiades québécoises de la formation professionnelle et technique, catégorie vente-conseil, note Patricia Lapierre. «On évaluait notamment la rapidité à laquelle les aspirants vendeurs étaient en mesure d’utiliser divers outils électroniques pour trouver de l’information pour leurs clients et leur capacité à communiquer virtuellement avec eux.»

Les vendeurs n’auront pas le choix de s’adapter, car les ventes en ligne ont un avenir assuré. Les jeunes qui ont grandi avec un clavier au bout des doigts sont prêts. Au tour des commerçants de former et d’équiper leurs employés.

Instrument de réussite

Antoine Viel a découvert la force du commerce en ligne presque par hasard en ouvrant un compte eBay pour faire mousser les ventes de son employeur, Musique Gagné et Frères, à Québec. «Nous avions des pièces uniques comme des guitares de collection qu’il valait la peine de montrer à un plus large public. Cette fenêtre virtuelle permettait d’ouvrir notre marché à l’international.»

La réponse a été si forte que, un an plus tard, en janvier 2009, Antoine est devenu détaillant virtuel à temps plein pour la bannière Direct Music.

Antoine participe à l’achat des instruments. Quand les pièces arrivent en entrepôt, il place sur le Web une description technique du fabricant accompagnée d’un avis personnel notamment sur l’état de l’instrument et sa sonorité. Il ajoute aussi des photos et des vidéos. «Je fournis aux internautes le plus d’information possible afin qu’ils se fassent une idée juste.»

Grâce à la vente en ligne, Antoine compte des clients aux États-Unis, en Europe, en Asie et en Australie. «Sur le Web, je peux trouver 100 000 personnes prêtes à débourser 5 000 $ pour une guitare. Mais pour générer de bons volumes de ventes, je dois rechercher de nouveaux produits, connaître les nouvelles tendances et les goûts de mes clients. Les Asiatiques aiment les couleurs pastel et éclatantes, alors que les Américains préfèrent les instruments de couleur bois naturel.»

Par ailleurs, sa boutique en ligne est toujours ouverte! «Vers 23 h, mes clients australiens se lèvent… Je travaille selon différents horaires, incluant les soirs et les fins de semaine. Je réponds à une cinquantaine de courriels par jour. Je peux difficilement sauter une journée. Ce mode de vie me convient. Mais ce n’est pas pour tout le monde.» Amoureux du 9 à 5 : s’abstenir…

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