Des résultats révélateurs

Du plaisir au prestige, les valeurs occupant les rangs 3 à 11 révèlent peu à peu la vraie nature des travailleurs québécois…

Nº 3 : le plaisir

«De tous les travailleurs que je vois, ceux qui gagnent le plus d’argent sont invariablement ceux qui aiment profondément ce qu’ils font», assure Louise Descarie, fondatrice de La Tête Chercheuse. Voilà qui nous amène à la valeur numéro trois : le plaisir.

«Le plaisir me semble être une priorité surtout pour la génération Y», indique d’emblée Penny Peroff, directrice du développement organisationnel chez Drakkar. Et pourtant, notre sondage montre que cette préoccupation ne leur est pas exclusive : au contraire, les jeunes se situent dans la moyenne des travailleurs en classant cette valeur au troisième rang. Ce sont en fait les boomers qui tiennent le plus à s’amuser en travaillant puisqu’ils accordent la deuxième place au plaisir. «Ce n’est pas que les Y n’accordent pas une grande importance au plaisir. Seulement, ils accordent encore plus d’importance à d’autres valeurs», précise Pierre Côté, fondateur de L’Indice relatif de bonheur (IRB).

La cote élevée accordée au plaisir est surtout attribuable aux femmes, car s’il n’en tenait qu’aux hommes, cette valeur ne se trouverait qu’au cinquième rang. Toutefois, cette différence s’estompera avec le temps, d’après Bernard Demers, psychologue-conseil. «De façon traditionnelle, les hommes avaient tendance à voir le travail comme un lieu de réali­sation et non de plaisir, mais chez les plus jeunes, c’est déjà moins vrai», constate-t-il.

Ce n’est pas Joel Lieberman qui va le contredire. Ce jeune homme qui a toujours aimé les jeux vidéo est comblé chez Ubisoft, où il travaille depuis trois ans à titre de programmeur outils. Bien sûr, certaines tâches lui plaisent plus que d’autres et, idéalement, il aimerait y consacrer la majeure partie de son temps. «Il y a des gens qui acceptent de faire tout ce qu’on leur demande, même ce qu’ils détestent. De plus en plus, je comprends que pour continuer à être heureux au travail, je dois dire à mes supérieurs ce que j’aime faire», exprime-t-il.

Nº 4 : la reconnaissance

Un sondage réalisé par L’IRB en 2007 montre que seulement 51 % des Québécois estiment qu’ils obtiennent suffisamment de reconnaissance de la part de leur employeur. Une statistique désolante, selon Pierre Côté. «Le besoin de reconnaissance est fondamental chez l’être humain. Reconnaître l’importance de ses employés, ça ne coûte pas cher et ça rapporte beaucoup.» D’où le rang plutôt élevé qu’occupe cette valeur.

Toutefois, plus le salaire des répondants était élevé, moins le besoin de reconnaissance s’est révélé primordial. «La reconnaissance, ça se monnaye», croit Sid Ahmed Soussi, professeur au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal. La plupart de nos interlocuteurs dans ce dossier pensent néanmoins que la reconnaissance non salariale importe tout autant, sinon plus. «Le simple fait de prendre le temps de parler à ses employés peut faire toute une différence», dit Penny Peroff.

À lire à ce sujet : L’art de la reconnaissance

Nº 5 : le dépassement

«Selon des sondages de L’IRB sur le travail, la réalisation de soi représente le facteur dont l’incidence sur le bonheur au travail est la plus grande», mentionne Pierre Côté. Toutefois, le cinquième rang accordé à cette valeur dans le classement général cache plusieurs disparités entre les catégories de travailleurs.

Ainsi, elle importe particulièrement aux travailleurs qui gagnent 90 000 $ et plus puisque ceux-ci la placent au deuxième rang. «Ces personnes ont généralement des exigences élevées envers elles-mêmes. C’est précisément pour cette raison qu’elles se retrouvent parmi les mieux payées», commente Bernard Demers.

Le fait que les hommes accordent plus d’importance au dépassement que les femmes (3e rang vs 5e rang) s’explique sans doute par des raisons culturelles et historiques. Les 30 ans et moins placent aussi cette valeur assez haut, soit en troisième position, ex æquo avec le plaisir et la reconnaissance. Mais ils ont leurs motivations propres, selon Sid Ahmed Soussi : «Ils doivent travailler fort s’ils veulent se faire remarquer!»

Le contraste est frappant avec les boomers, qui relèguent le dépassement à la septième position. «C’est normal qu’ils aient un peu moins envie de se dépasser, rendus à leur âge», concède Pierre Côté. Ce dernier y voit malheureusement une forme de contentement, voire de suffisance de la part de cette génération qui, rappelons-le, détient encore le pouvoir dans bon nombre d’organisations.

Nº 6 : l’authenticité

Dans la plupart des milieux de travail, on s’attend à ce que les employés maîtrisent leurs émotions, qu’ils se conforment aux normes en vigueur et, parfois, qu’ils brident leurs opinions personnelles. Or, les Québécois expriment ici le désir d’être authentiques au travail. «Cette valeur se trouve en milieu de peloton et il n’y a pas beaucoup de variations selon l’âge, le sexe, etc. Donc, même si elle n’est pas à l’avant-plan, elle touche tout le monde à peu près également», spécifie Pierre Côté.

Si certaines organisations offrent à leur personnel une relative liberté d’expression, Pierre Côté mentionne que d’autres laissent sentir aux employés qu’ils doivent constamment faire attention à ce qu’ils font et à ce qu’ils disent… Pas facile de faire semblant tout le temps! «Si cette valeur est absente chez un employeur, il ne peut pas espérer avoir des employés très performants», pense-t-il.

Nº 7 : l’éthique

L’éthique, que l’on peut définir comme le respect des valeurs humaines et morales, n’est pas une priorité absolue des travailleurs québécois, et pour cause, selon Sid Ahmed Soussi. «Ce sont les valeurs morales de la collectivité que l’on respecte quand on fait preuve d’éthique, fait-il remarquer. Or, les milieux de travail se caractérisent aujourd’hui par une très grande compétitivité. Pour émerger du lot, on doit souvent écraser les autres. Ça pose un problème d’éthique, bien entendu!»

Cette valeur fait meilleure figure chez les boomers (6e rang) que chez la génération Y (9e rang). «C’est bien décevant dans les deux cas!» laisse tomber Bernard Demers. Il estime toutefois que la différence entre les générations est normale, car les jeunes travailleurs ne comprennent pas toujours la portée de leurs gestes et de leurs décisions sur le plan éthique, faute d’expérience.

Nº 8 : la soif d’apprendre

«La huitième position de cette valeur me paraît décevante, car l’apprentissage est la principale clé pour s’améliorer, analyse Pierre Côté. Ce principe vaut dans la vie en général, mais encore davantage dans le milieu du travail, surtout à la vitesse à laquelle évoluent les choses.»

Chez les répondants occupant un poste de direction, c’est pire : cette valeur arrive seulement au dixième rang. Nos chefs refuseraient-ils d’évoluer?

«C’est sûr qu’il y a des directeurs qui ont l’impression de ne plus avoir grand-chose à apprendre», répond Bernard Demers. Toutefois, il note que la question du sondage portait spécifiquement sur l’apprentissage au moyen de programmes de formation. «Il est fort possible que certains gestion­naires ne soient pas intéressés par les cours de perfectionnement, mais qu’ils conservent le désir d’apprendre dans l’action, au quotidien», suggère-t-il.

Nº 9 : la santé et le bien-être

«L’implication de l’employeur sur le plan de la santé est souhaitée, mais elle ne constitue pas une valeur activement recherchée», estime Pierre Côté, d’où le peu de cas qu’en ont fait les répondants. «Beaucoup de gens sont conscients de l’importance de la santé, mais ils ont tendance à faire eux-mêmes des efforts pour la maintenir et l’améliorer, en dehors du travail», constate Penny Peroff.

Sans grande surprise, toutefois, cette valeur occupe une place nettement plus importante (7e position) auprès des travailleurs manuels et techniques. «En raison d’un travail plus physique et d’un plus grand risque de blessures, ceux-ci ont besoin de l’engagement de leur employeur pour se sentir protégés et sécurisés», indique Pierre Côté.

Nº 10 : l’ouverture

C’est près du bas de l’échelle que l’on trouve cette valeur voulant qu’on évolue dans un milieu ouvert aux autres, à la diversité et au changement. «La société québécoise est frileuse depuis une quinzaine d’années. On hésite à se lancer dans de grands projets. Les immigrants sont sous-employés, alors que nous avons besoin d’eux», soutient Bernard Demers.

Penny Peroff interprète différemment ce résultat : «On parle beaucoup de la diversité culturelle dans les médias, et dans certaines entreprises aussi. Cependant, dans plusieurs organisations, il n’y a tout simplement pas de problème sur ce plan. Pour les gens qui, comme moi, ont grandi dans un milieu multiculturel, la diversité, ça va de soi.»

Nº 11 : le prestige

Il semble que le prestige, décrit dans notre sondage comme «la fierté de travailler pour une organisation reconnue», ait perdu son lustre d’antan. «Il fut un temps où le prestige de l’individu était relié à celui de son employeur, explique Sid Ahmed Soussi. Pour un technicien, travailler pour GM, ce n’était pas rien! Aujourd’hui, comme le sentiment d’appartenance aux organisations est beaucoup moins fort, le prestige est davantage lié à la trajectoire professionnelle de chacun.»

Chez certains employés, ce prestige individuel peut d’ailleurs remplacer les témoignages de reconnaissance de l’employeur. «Ça peut être très agréable, le fait d’être connu, admiré. C’est une des raisons qui poussent les gens à rechercher les promotions», mentionne Bernard Demers.

Nº 12 : l’implication sociale

Il peut paraître surprenant que cette valeur occupe le dernier rang. Notre article Solidaires, mais lucides‎ fournit quelques explications.

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