Des femmes de génie

Les femmes se font rares en génie. Sur le marché du travail comme dans les universités, elles sont peu nombreuses. Encore aujourd’hui, elles semblent croire que le génie est une profession de gars.

À l’Ordre des ingénieurs du Québec, les femmes ne représentent que 13 % des membres. En 2002, cette proportion était de 10 % et en 1992, de 5 %. Les femmes progressent donc dans cette profession, mais à très petits pas.

Dans l’ensemble des universités québécoises, leur présence est aussi timide. En 2010, les femmes représentaient seulement 16 % des étudiants inscrits dans tous les programmes de baccalauréat en génie.

En 2012, 22 % des étudiants de premier cycle à l’École Polytechnique Montréal étaient des femmes, 19 % à l’Université Laval et 9 % à l’École de technologie supérieure.

Profession de gars?

«Les filles optent d’emblée pour un métier où elles vont aider et être utiles à la société. Elles ne perçoivent pas le génie comme faisant partie de cette liste», constate Nadia Ghazzali, titulaire de la Chaire CRSNG-Industrielle Alliance pour les femmes en sciences et génie au Québec.

Le rôle social de la profession gagnerait à être davantage connu pour attirer plus de femmes.

Historiquement, le génie a toujours intéressé davantage les garçons que les filles, confirme Daniel Lebel, président de l’Ordre des ingénieurs du Québec. Celles qui penchent pour les sciences sont plus attirées par les sciences de la santé et les sciences humaines que par les sciences physiques et les mathématiques. «Elles ont des préoccupations plus humaines, sociales et environnementales.»

Ces préférences se reflètent dans les champs de pratique que les ingénieures en exercice choisissent d’investir. Actuellement, à l’Ordre, les femmes représentent 31 % des membres œuvrant en environnement, 27 % de ceux qui travaillent en santé et sécurité, 24 % des ingénieurs chimistes et 23 % des membres travaillant en génie biomédical.

À l’Université Laval, les branches les plus populaires auprès des filles sont le génie alimentaire, des eaux, industriel, géologique, chimique et agroenvironnemental.

À l’École Polytechnique Montréal, en 2012, la moitié des étudiants inscrits en génie chimique étaient des filles. Elles représentaient aussi 48 % des étudiants en génie géologique et 47 % de ceux inscrits en génie biomédical.

Pour séduire les filles

Le rôle social de la profession gagnerait à être davantage connu pour attirer plus de femmes, soutient Daniel Lebel. «L’ingénieur ne passe pas ses journées seul à faire des calculs dans son bureau. Il va sur le terrain. Peu importe son champ de pratique, il gère des équipes de projets.» Il doit interagir avec d’autres ingénieurs, des professionnels, des techniciens, des ouvriers spécialisés, des fournisseurs, des clients, etc.

«Dans tous les domaines, l’ingénieur apporte une contribution à la société», poursuit-il. Par exemple, les ingénieurs biomédicaux comme ceux qui exercent en génie électrique, mécanique, physique ou informatique peuvent sauver des vies en développant des technologies utiles aux professionnels de la santé.

Les mentalités ont évolué depuis 20 ans. Les femmes sont moins victimes de préjugés en milieu de travail.

L’augmentation de la représentativité des femmes dans la profession passe aussi par l’éducation, croit Nadia Ghazzali. «Tôt dans la vie de leurs filles, les parents doivent favoriser l’éveil aux sciences et encourager l’esprit critique, la curiosité et le sens de la découverte. À l’école, les professeurs doivent les impliquer davantage.» Selon elle, les enseignants misent souvent sur les notions techniques, mais ils occultent le côté utilitaire pour la société d’un procédé scientifique, un aspect qui pourrait accrocher plus de filles.

Des rassembleuses

Une fois en poste, les femmes qui ont choisi le génie sont pourtant prisées. Pour dénicher leur stage ou un boulot, les filles de l’École de technologie supérieure s’en tirent aussi bien que les garçons, fait remarquer Pierre Rivet, directeur du Service de l’enseignement coopératif et adjoint au directeur des relations avec l’industrie de l’établissement. «Les filles veulent prouver qu’elles sont aussi bonnes que les garçons. Sur le marché du travail, elles sont souvent plus déterminées et assidues. Les employeurs reconnaissent aussi leur contribution à des relations de travail plus harmonieuses.»

Le leadership exercé par les femmes ingénieures est aussi apprécié, indique Diane Riopel, titulaire à la Chaire Marianne-Mareschal de l’École Polytechnique Montréal, qui fait la promotion du génie auprès des femmes. «Les femmes sont rassembleuses et soucieuses de mener leurs troupes vers un objectif commun. Elles cherchent à obtenir un consensus et accordent plus d’importance au succès collectif que personnel.»

Une place pour elles

Selon un sondage réalisé en 2009 par l’Ordre, quatre ingénieures sur cinq qualifient leur profession d’accueillante. Daniel Lebel confirme que les mentalités ont évolué depuis 20 ans. Les femmes sont moins victimes de préjugés en milieu de travail. Leurs compétences sont reconnues. Mais les employeurs gagnent à en faire plus, croient les titulaires des chaires d’ingénieurs vouées aux femmes. Notamment en misant davantage sur la conciliation travail-famille et sur une culture basée sur l’équité des chances hommes-femmes.

«Pour l’instant, il n’y a pas assez de modèles d’ingénieures pour inspirer les filles, déplore Diane Riopel. Plus il y en aura, plus cela motivera des femmes à choisir cette profession. Dès leur plus jeune âge, les filles doivent pouvoir inclure le génie dans leurs choix de carrière. Ce n’est pas le génie à tout prix. Mais le génie, pourquoi pas?»

Une femme d’action
Kateri Normandeau, chef d’équipe, Grands chantiers, Environnement, GENIVAR

Kateri Normandeau a choisi le génie à… six ans. Avoir un père géologue qui effectuait des études d’impact pour la Société d’énergie de la Baie-James a certainement influencé son choix de carrière. «Mon père côtoyait des ingénieurs et me parlait de leur travail. Je ne voyais pas le côté technique du métier. Il me présentait leurs réalisations et leur contribution à la société. Et concevoir de grands projets avec une équipe m’intéressait.»

Seule au chantier

Titulaire d’un baccalauréat en génie civil et d’une maîtrise en gestion de l’environnement, Kateri est aujourd’hui chef d’équipe de grands chantiers pour la firme de génie-conseil GENIVAR à Montréal. Après avoir cumulé 20 ans d’expérience en génie dans plusieurs compagnies, elle voit maintenant au développement d’affaires de la division Environnement de la firme. Elle gère une équipe de gestionnaires de projets composée notamment de chimistes et d’ingénieurs en génie chimique, génie civil et génie du traitement des eaux et de l’environnement. La moitié sont des femmes.

Tout un changement, car «durant les premières années de ma carrière, j’étais la seule femme ingénieure sur les chantiers. À part les dessinatrices et les adjointes administratives, je n’avais pas de collègues féminines. À 22 ans, comme surveillante de chantiers, je me demandais comment obtenir le respect d’entrepreneurs de 55 ans. J’ai réussi à faire ma place en effectuant un travail exemplaire, c’est la clé pour établir sa crédibilité. L’important pour une femme est aussi d’avoir l’appui de son employeur, de poser ses limites et ses conditions. Par exemple exiger l’installation d’un vestiaire pour femmes, même si on est une poignée, voire la seule du chantier.»

Des défis plus forts que les préjugés

Encore aujourd’hui, l’ingénieure doit toutefois composer avec quelques dinosaures. «Même à 40 ans, avec un casque sur la tête, si je vais sur un chantier, je peux me faire siffler.»

Kateri n’en fait pas un plat. La satisfaction que lui apporte son métier pèse plus lourd dans la balance. «Le génie environnemental est en constant développement, en ce qui a trait aux innovations et aux réglementations. Les défis techniques sont complexes. J’apprends constamment. J’adore démarrer de nouveaux projets. J’aime les planifier, les développer, choisir les équipes et solutionner les problèmes.»

Pour Kateri, le succès d’un projet repose sur la communication. «Il faut savoir respecter les idées des autres et mobiliser les gens. Si on n’écoute pas, on est susceptible de passer à côté de problèmes.»

Qui a dit que le génie n’était pas un domaine social?


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