Cessez d’être un bourreau de travail!

Gary Kunath
Gary Kunath, auteur et conférencier
Photo : Haigwood Studios, Roswell, GA

Les Québécois consacrent en moyenne 35,4 heures au travail par semaine. Mais certains accumulent 50, 60 ou 70 heures au boulot pour arriver à boucler leurs dossiers. Les bourreaux de travail passent-ils à côté de leur vie?

Près du tiers des Canadiens de 19 à 64 ans déclarent être des bourreaux de travail, selon Statistique Canada. Ces derniers se disent moins satisfaits de leur vie que les autres travailleurs. Pas étonnant, répond Gary Kunath, 56 ans, conférencier américain prisé, fondateur d’une grande entreprise de formation et auteur de Life… Don’t Miss It. I Almost Did (Advantage). «La vie, c’est tellement plus que juste le travail!» dit-il en entrevue.

Cet ancien travailleur compulsif a pris conscience de cette réalité il y a une quinzaine d’années quand, ayant refusé de jouer avec son fils à cause du boulot, il a été saisi par le visage déconfit du garçon. Il a aussi été marqué par un voyage d’affaires en Europe, entrepris malgré une vilaine grippe et beaucoup de fatigue accumulée, qui s’est terminé en crise de nerfs…

JOBBM  Quel genre de personne étiez-vous avant d’avoir l’illumination?
Gary Kunath : Je pense qu’on pourrait dire que j’étais un workaholic. Je lançais ma compagnie, The Summit Group. Ce n’était rien pour moi de travailler pendant 14 heures dans une journée, sans oublier les voyages fréquents partout dans le monde – j’ai accumulé 3 millions de milles avec Delta Airlines!

Quand je revenais à la maison, c’était comme si j’étais un observateur : toutes les décisions familiales étaient déjà prises. Je me justifiais en me disant que mes efforts amélioraient la vie de ma famille, que les sacrifices que je faisais, mes enfants n’auraient pas à les faire.

Mais j’ai finalement réalisé que je n’avais pas à manquer autant de fêtes d’anniversaire pour réussir. J’ai aussi compris que le succès, ce n’est pas d’avoir une grosse maison, et que les plus belles choses que je pouvais offrir à ma famille – et à moi-même, en fait – sont du temps, des souvenirs et des traditions.

  Qu’est-ce qui a changé dans votre horaire à partir de là?
G. K. J’ai énormément diminué mon nombre d’heures de travail en réduisant les voyages d’affaires : ils occupaient 80 % de mon horaire auparavant, et c’est tombé à 10 %. J’ai réglé plus de choses par téléphone. J’ai aussi appris à dire non aux clients s’ils souhaitaient que je sois disponible le soir de l’anniversaire d’un de mes enfants. J’ai réalisé que les clients étaient prêts à m’attendre.

  Vous étiez le patron de l’entreprise; on peut imaginer que c’est plus facile à appliquer dans ce cas… Mais comment le travailleur moyen peut-il faire valoir son besoin d’équilibre auprès de son patron?
G. K. La première étape est de faire de l’équilibre de vie une priorité. Car beaucoup de gens en parlent sans rien faire ensuite. Pourtant, ils ont plus de pouvoir qu’ils ne le croient.

Si on vous demande de participer à une conférence téléphonique à 18 heures un vendredi soir, vous pouvez dire non! Et si c’est une habitude dans la compagnie, il vous faut vous interroger : «Est-ce que je veux vraiment vivre comme ça?» Ultimement, la vie est très courte, et un job, c’est juste un job! Il y en a beaucoup d’autres! C’est une question de perspective.

  Pourquoi tant de gens surmenés conservent-ils un emploi qui les rend malheureux?
G. K. C’est soit parce qu’ils ne peuvent pas quitter leur emploi, ou bien c’est qu’ils pensent ne pas pouvoir le faire. Si vous n’avez pas les compétences recherchées et une bonne employabilité, vous êtes cuit. Vous n’êtes pas en mesure de choisir votre employeur. Pourtant, votre premier boulot en tant que travailleur, ce n’est pas d’être un bon employé, c’est d’être «employable». Si votre valeur sur le marché du travail est bonne, vous ne serez jamais coincé dans un emploi qui ne correspond pas à vos besoins.

Si vous faites 70 heures par semaine, assurez-vous que ça va vous mener là où vous le voulez. Car le prix à payer, c’est votre vie personnelle.

Pour les travailleurs qui pensent ne pas avoir le choix, c’est autre chose. Certains n’imaginent même pas que la vie est possible en dehors de l’entreprise où ils travaillent depuis des années. Ils s’emprisonnent eux-mêmes. Et lorsque la compagnie éprouve des difficultés financières et les vire, ils pensent que c’est la fin du monde. Mais vous les recroisez quelque temps plus tard, et ils vous disent que c’est la meilleure chose qui leur soit arrivée.

  Il y a par contre des secteurs d’emploi où les heures supplémentaires semblent inévitables…
G. K. Personne ne veut travailler 70 heures par semaine. Personne n’en tire du plaisir. Dans certains cas, toutefois, c’est un échange. Par exemple, des travailleurs dans de grandes firmes de consultation sont prêts à mettre les bouchées doubles pendant une période déterminée pour pouvoir inscrire cette expérience dans leur CV et obtenir leur emploi de rêve ensuite.

Mais si vous faites 70 heures par semaine, assurez-vous que ça va vous mener là où vous le voulez. Car le prix à payer, c’est votre vie personnelle.

  Vous avez vendu votre entreprise il y a quelques années. Quel genre de patron étiez-vous?
G. K. La vie personnelle de mes employés était ma priorité. Pour les attirer dans l’entreprise, je leur disais que j’allais leur rendre la vie que le milieu du travail leur avait volée.

Tout le monde travaillait de la maison et gérait son temps à sa façon. Même qu’une fois, j’ai dû menacer de congédiement un employé qui voulait se rendre à Mexico pour un contrat pendant le congé de l’Action de grâce. Je ne pouvais le laisser créer ce précédent qui mettrait une pression sur les autres employés.

Résultat : 95  % de ceux qui travaillaient pour moi au début étaient toujours là 17 ans plus tard.

  Quelle est la responsabilité des employeurs en matière de conciliation travail-vie personnelle?
G. K. Elle est énorme. Et les employeurs eux-mêmes ont beaucoup à gagner en implantant des politiques flexibles. S’ils veulent retenir les personnes de talent, ils se doivent d’être très sensibles à ce dont ces personnes ont besoin pour s’épanouir.

J’ai donné une conférence l’été dernier chez Google. Un travailleur me racontait qu’il a dû s’absenter du bureau pendant une longue période parce que son père était en phase terminale. Il a dit à son patron : «Si tu dois me virer, je comprends, mais je ne peux pas laisser mon père vivre ça tout seul.» Le gestionnaire lui a répondu : «Est-ce une blague? On va t’accompagner dans cette épreuve jusqu’au bout.» De retour au travail, le gars a reçu une offre de Netflix avec un salaire trois fois supérieur à celui qu’il a chez Google. Il est resté quand même.

  Vous affirmez qu’on n’aborde pas suffisamment le sujet de l’équilibre dans les écoles de formation. Comment pourrait-on le faire?
G. K. On enseigne aux jeunes comment gagner leur vie, mais personne ne leur dit comment réussir leur vie! Je pense que la question de l’équilibre devrait faire partie de tous les programmes d’études, même si ce n’est qu’un cours d’un crédit ou de quelques heures. En entreprise aussi, ça devrait être l’objet de formations.

Les jeunes sont très réceptifs à mon message. J’ai donné une conférence à la remise des diplômes de l’Utica College et j’ai eu droit à une ovation debout des 5 000 personnes présentes. C’était la première ovation de l’histoire de cet établissement!

  Comment les autres dirigeants d’entreprise vous perçoivent-ils?
G. K. Peut-être qu’ils me voient un peu comme un non-conformiste, mais ils ne peuvent pas contester les faits : j’ai mené mon entreprise au succès rapidement avec cette philosophie.

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