Bolivie : De l’or équitable, vraiment?

Un mineur achève sa journée de travail à 16 h, alors que d’autres commencent la leur. La plupart des mineurs vivent ici durant 12 jours avant de rejoindre leur famille à La Paz pour 3 jours. Photo : Valerian Mazataud
Un mineur achève sa journée de travail à 16 h, alors que d’autres commencent la leur. La plupart des mineurs vivent ici durant 12 jours avant de rejoindre leur famille à La Paz pour 3 jours.
Photo : Valerian Mazataud

Début 2011, la mine bolivienne de Cotapata a produit le premier lingot d’or équitable au monde. Après le café ou le chocolat, voilà que le précieux métal se fait «juste». Mais les travailleurs en profitent-ils vraiment?

La camionnette fait halte au sommet d’un col des Andes boliviennes. À quelques centaines de mètres, dans l’épaisse brume, se dessine la silhouette d’un christ entouré d’oiseaux. Freddy Carrión Urquiola, président de la mine d’or coopérative de Cotapata, asperge le véhicule de quelques gouttes d’alcool de canne à sucre, un spiritueux qui titre à plus de 90 degrés, avant d’en avaler lui-même une rasade.

Ici, à une heure de route au nord-est de La Paz, capitale de la Bolivie, tout le monde est catholique, mais on ne manque jamais une offrande à la Pachamama, la terre mère, un des cultes autochtones les plus anciens dans la région andine. Après tout, il reste encore une heure de trajet le long de la tristement célèbre «route de la mort», surnommée ainsi dans les années 1990, à une époque où plusieurs centaines de voyageurs y trouvaient une fin tragique chaque année.

Ensuite, c’est à pied qu’il faut finir le chemin vers la mine; une demi-heure de descente au gré d’un sentier incertain pour atteindre le fond de la vallée. Heureusement qu’il existe un téléphérique pour transporter le minerai et le matériel nécessaire à l’exploitation. Enfin la mine se dessine : quelques baraquements de bois coloré perdus au cœur d’une forêt luxuriante.

Vingt-cinq membres de la coopérative, des socios, exploitent cette mine d’or avec l’aide d’une quarantaine de manœuvres salariés, les peones. Comme beaucoup de mines andines, Cotapata a longtemps été exploitée par des mineurs non officiels, c’est-à-dire n’ayant aucun statut d’entreprise : les barranquilleros. En 1991, une poignée d’entre eux décident de structurer leurs activités. «À l’époque, on devait creuser la roche à la force de nos bras et transporter le minerai dans des brouettes», se souvient Wilson Eulate Porco, un membre fondateur. Le mercure, utilisé pour extraire l’or, était alors rejeté directement dans la nature, une pratique encore courante dans d’autres mines artisanales.

Les conditions de travail se sont nettement améliorées depuis. Les galeries, où circulent des wagonnets sur rails, sont désormais creusées à coups de dynamite, et la mine possède sa propre usine, capable de traiter plus de deux tonnes de minerai à l’heure. Qui plus est, il s’agit de la toute première exploitation minière certifiée Fairtrade et Fairmined (soit commerce équitable et minerai extrait équitablement).

Beaucoup de paperasse

En 2007, l’alliance pour l’exploitation minière responsable (ARM), un organisme colombien, recherchait une mine pour y développer le tout premier label d’or équitable au monde. Elle s’est tournée vers la coopérative de Cotapata, qui faisait déjà figure d’exemple parmi les mines artisanales de Bolivie – les mineurs y étaient équipés de casques, de lampes électriques et de respirateurs.

Au bout de presque trois ans de certification, Cotapata n’est parvenue à écouler qu’un maigre 1 % de sa production sur le marché du commerce équitable.

En janvier 2011, Cotapata produit le premier lingot d’or équitable de l’histoire. Pour en arriver là, la coopérative a dû se conformer à plus d’une centaine de règles, dont le paiement des taxes, une amélioration de la parité entre les hommes et les femmes, la récupération du mercure, le respect des normes environnementales du pays, l’existence de contrats de travail et l’interdiction d’embaucher des moins de 18 ans.

Pour Ana Maria Paz, trésorière de la coopérative, cela a signifié avant tout beaucoup de paperasse et une longue normalisation administrative, mais certaines mesures concrètes ont touché directement les mineurs. «La certification exige que l’on élise des représentants, que les socios puissent exprimer librement leurs doléances et que leurs besoins soient régulièrement évalués», donne-t-elle en exemple.

Pour maintenir sa certification, la mine doit se soumettre à un audit annuel par l’organisme indépendant FLO-CERT. En contrepartie de ses efforts, la coopérative peut vendre son or à un acheteur étranger s’engageant à lui payer une prime de 10 %, qui devra être utilisée à des fins sociales : santé, éducation, sécurité…

Tout ça pour ça

Pourtant, au bout de presque trois ans de certification, Cotapata n’est parvenue à écouler qu’un maigre 1 % de sa production sur le marché du commerce équitable, à peine 1,5 kg (le reste – soit près de 148 kg – est vendu sur le marché noir). «On a payé 23 800 $ pour les audits, mais la prime ne nous a rapporté que 9 000 $», déplore Freddy Carrión Urquiola.

«Le marché ne se matérialise pas en une nuit», relativise le bijoutier britannique Greg Valerio, un des fondateurs de l’ARM. «Il faut parfois 10, 15 ou 20 ans pour développer un produit équitable.» Une perspective à laquelle les mines labellisées ne s’attendaient peut-être pas. «C’est un marché qui démarre», rappelle Patrick Schein, un affineur d’or français, membre du conseil d’administration de l’ARM.

Il faut dire qu’en 10 ans, le prix de l’or a triplé, passant de 350 à 1 500 $ l’once et rendant plus coûteuse la prime de 10 %. En outre, rappelle Patrick Schein, les groupes de luxe dominent un marché qui doit sa croissance à l’Asie et à la Russie, des régions où la clientèle reste peu sensible au commerce équitable.

Équitable… et inutile?

Ce qui pourrait apparaître comme une victoire ressemble plutôt à un constat d’échec pour Pablo Villegas, chercheur au centre de documentation et d’information de Bolivie (CEDIB). Selon son expérience en foresterie, les standards équitables ne font que se superposer aux lois existantes, que la plupart des coopératives ne respectent pas. Le problème n’est pas que les normes boliviennes soient trop faibles, explique-t-il, mais plutôt qu’elles ne soient pas appliquées, par manque de volonté politique. «Nous avons un excellent code du travail, s’il est appliqué!» s’amuse le chercheur.

En Bolivie, un paramètre de plus vient compliquer la donne. Puisqu’il n’existe aucun acheteur officiel pour l’or, quasiment toute la production est écoulée sur le marché noir.

À Cotapata, les socios s’avouent déçus de leur expérience. Mais selon Ana Paz, la démarche de formalisation leur a tout de même donné une longueur d’avance sur les autres mines du pays, que le gouvernement a récemment décidé de mettre au pas. «Nous nous retrouvons à l’avant-garde […] Nous garderons le cap de la formalisation, mais pour nous, les bénéfices se comptent plus en termes d’apprentissage.»

Qu’importe ce démarrage fastidieux, Fairtrade développera bientôt l’or équitable en Afrique. En France, Patrick Schein affirme pouvoir faire passer les ventes d’or équitable de quelques dizaines de kilos à une tonne d’ici cinq ans. Greg Valerio souligne de son côté la réussite de la mine péruvienne de Santa Filomena, qui a gagné plus de 100 000 $ de primes en deux ans, une somme qui a permis d’améliorer l’école du village et de fonder un magasin coopératif. Le filon semble donc loin d’être épuisé.

Le commerce équitable

Le commerce équitable, qui a pour objectif d’atteindre l’équité du producteur au consommateur, tire ses origines du mouvement religieux mennonite aux États-Unis dans les années 1950. La création du premier label remonte à 1998, avec la commercialisation du café Max Havelaar. Depuis, la gamme de produits offerts s’est étendue, les plus populaires restant le café, la banane, le sucre et le cacao. Plusieurs fédérations et associations ont vu le jour et ont émis des standards, tous basés sur les mêmes principes : lutte à la pauvreté, traçabilité, égalité des sexes, abolition du travail des enfants et respect de l’environnement.

Malgré sa croissance fulgurante, le commerce équitable reste un joueur très marginal sur le plan mondial, avec 4,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2009. On dénombre aujourd’hui neuf mines d’or équitables, toutes situées en Amérique du Sud.

La Bolivie en chiffres

  • Population : 10,5 millions d’habitants
  • Espérance de vie : 65 ans pour les hommes, 71 pour les femmes
  • Niveau de vie : La moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté (établi à moins de deux dollars par jour).
  • PIB : 27,1 milliards de dollars américains en 2012 (Canada : 1 819 milliards)
  • PIB par habitant : 5 200 dollars américains en 2012 (157e rang mondial)
  • Emplois, secteur minier : Officiellement 70 500, dont 58 000 dans les coopératives (auxquels il faut ajouter de 40 000 à 60 000 travailleurs peones, estime le CEDIB).
  • Production d’or, 2011 : 6 513 kilogrammes, dont 72 % proviennent des coopératives.

Sources : CIA, CEDIB, ministerio de Minería y Metalurgia

Dans ce dossier

• Galerie photos : Des travailleurs et leur mine équitable, en Bolivie

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