Accros au crédit

Au début de 2009, je revenais d’un voyage d’un an à l’étranger, sans, je l’avoue, un malheureux sou en poche. En transition professionnelle, je vivotais grâce à de petits boulots. L’argent entrait au compte-gouttes. Pour la première fois de ma vie, je me sentais en sérieuse difficulté financière et au bord de la panique. Le solde grimpant de mes cartes de crédit, que j’utilisais même pour faire l’épicerie, commençait à me donner des sueurs froides.

Pourtant, je n’avais pas encore utilisé le dixième du crédit disponible sur l’ensemble de mes cartes, soit un magot de 50 000 $ au total. Ce cadeau empoisonné m’était offert parce qu’avant mon escapade hors frontières – et ma démission –, les institutions financières m’avaient considérée comme prospère avec mon emploi fixe et ma paye bien garnie. Mais là, ce n’était plus le cas : j’étais tout à coup pauvre comme Job, peut-être même pas admissible chez le prêteur sur gage. N’empêche, j’aurais pu m’endetter de cette somme colossale ni vu ni connu, et ce, en toute légalité!

Aussi bien dire creuser ma tombe.

Heureusement, j’ai une peur bleue des dettes et je suis de nature frugale. Alors, au lieu d’aller brûler l’argent que je n’avais pas, je faisais de longues balades dans la ville enneigée, une activité stimulante et encore gratuite. En chemin, je croisais des restaurants pleins de clients repus et souriants. Des bars remplis de gens heureux. Des files d’attente aux SAQ. Partout, l’argent coulait à flots.

Pourtant, non seulement moi, mais le monde entier traversait alors l’une des pires crises économiques du siècle! Mais où les gens prenaient-ils donc leur argent?

Chik-a-chik : évidemment, eux aussi, ils avaient et ont toujours des cartes de crédit! Et contrairement à moi, plusieurs ne craignent pas d’en abuser. Tôt ou tard, nombre d’entre eux se retrouvent dans la marge jusqu’au cou.

En effet, au pays, l’endettement atteint maintenant de dangereux sommets. Pour chaque tranche de 1 000 $ de revenu net d’impôt, les familles canadiennes ont une dette de 1 500 $, incluant la dette hypothécaire. Du jamais vu, affirme l’Institut Vanier, un centre de recherche voué au bien-être des familles. Il y a 20 ans, c’était 930 $.

C’est que les dettes liées à la consommation explosent. Les Québécois trimballent aujourd’hui un solde moyen de 3 000 $ sur leurs cartes et marges de crédit, disent plusieurs études. On achète une nécessité par ci, un petit luxe par là… et au final, on le sait, ça fait mal.

Nous sommes tous plus ou moins dépendants du crédit, cette drogue douce et légale qui peut rapidement nous mener du paradis à l’enfer, du château à la rue.

Nous sommes tous plus ou moins dépendants du crédit, cette drogue douce et légale qui peut rapidement nous mener du paradis à l’enfer, du château à la rue. Au Canada, le nombre de faillites personnelles a plus que triplé depuis 20 ans… Mais aucun avertissement du type «Attention : le danger croît avec l’usage» n’est encore inscrit sur les cartes de crédit.

On devrait toutefois y songer, car les dérives de l’endettement pourraient s’accentuer.

En effet, pendant que les salaires stagnent, le coût de la vie, lui, ne cesse de grimper. De plus en plus de gens peinent à joindre les deux bouts. Beaucoup de travailleurs avouent qu’ils seraient mal barrés si un seul chèque de paie venait à manquer. L’épargne personnelle est aussi en chute libre; en 1990, les familles canadiennes épargnaient en moyenne 8 000 $ par année. Aujourd’hui, ce n’est plus que 2 500 $, selon l’Institut Vanier.

Mais la précarité financière n’est plus un frein au crédit. Au contraire, les moins nantis s’en font offrir toujours plus, même s’ils n’ont pas les moyens de l’assumer.

Même les étudiants, souvent sans salaire fixe, sont dans la mire des émetteurs de cartes de crédit, qui ne se gênent pas pour rôder sur les campus universitaires, un peu comme des pushers dans les cours d’école. «Vas-y, y a rien là, c’est gratuit et tu vas avoir un bon trip…»

En effet, c’est facile de triper fort quand on a une carte de crédit en main. Le crédit peut tout acheter, même l’estime des autres et l’estime de soi. De nos jours, personne ne veut être le loser qui n’a jamais une cenne. La tendance est plutôt de vouloir être riche. Mais à défaut de l’être, on veut au moins en avoir l’air. La tentation est donc forte de vivre au-dessus de ses moyens. Même les gouvernements le font! Ils collectionnent impunément les déficits. Certains font même faillite. Alors pourquoi pas nous?

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